Retards universitaires au Burkina Faso: Le Dr Hyacinthe se prononce

Le retard universitaire et son impact sur le système éducatif au Burkina Faso sont des sujets d’une importance capitale. Dans une interview accordée au Quotidien Numérique d’Afrique (QNA), le Dr Hyacinthe OUEDRAOGO, Enseignant-Chercheur à l’Université Nazi Boni et à l’Université de Gaoua, qui possède une connaissance approfondie des défis auxquels sont confrontés l’éducation nationale ainsi que le retard universitaire, nous plonge  dans l’univers du système éducatif pour mieux comprendre les causes profondes du retard universitaire et ses conséquences.  Accompagnez-nous dans cet entretien pour mieux comprendre les enjeux cruciaux auxquels sont confrontés le système éducatif burkinabè.

QNA: Quelle analyse faites-vous du système éducatif burkinabè.

L’éducation au Burkina Faso est en déphasage avec nos réalités et avec le monde de l’emploi. L’école devait aider l’enfant, le jeune, le produit à s’enraciner dans la société, à comprendre les besoins de sa société en vue d’apporter des réponses adéquates à cette société. Mais tel n’est pas le cas de l’école burkinabè. Elle est comme un laboratoire qui fabrique des individus qui sont déconnectés des réalités de la société. Des gens qui au lieu d’être une solution pour la société deviennent à 70% des charges pour la société. Tout cela, parce que la société à ses principes de fonctionnement, d’organisation, d’évolution. On n’enseigne pas les valeurs sociales, on n’enseigne pas les potentialités naturelles que nous avons, on n’enseigne pas la vertu humaine que nous avons. L’école burkinabè n’est pas en relation avec le monde de l’emploi. De nos jours, on ne forme pas les gens pour qu’ils puissent s’auto-employer. Ni le privé, ni la fonction publique ne peuvent employer tous les jeunes. Depuis 30 ans, 40 ans, pourquoi ne pas réorienter les curcurra du système éducatif pour permettre au jeune de pouvoir s’auto-employer, enlever dans la tête des jeunes qu’aller à l’école est avoir un emploi. Aller à l’école, c’est aller chercher les armes pour faire sa propre bataille dans la vie. Aujourd’hui, l’école forme des chômeurs qui sont déconnectés des réalités, qui ne trouvent pas leurs marques dans la société.

QNA: Pouvez-vous nous expliquer brièvement le système L.M.D.? En quelle année ce système a été introduit au Burkina Faso?

Le système L.M.D. signifie Licence-Master-Doctorat. C’est une harmonisation du schéma d’étude avec d’autres pays. Il s’agit d’uniformiser les cycles dans les cursus universitaires et favoriser la reconnaissance des diplômes dans le monde. C’est à partir des années 2000 que ce système est arrivé en Afrique. Des pays l’ont essayé vers 2003, 2004. Mais au Burkina Faso, c’est à partir de 2010 que le système L.M.D. a été appliqué au fur et à mesure dans les filières et universités.  Ce système révèle les différents cycles universitaires que sont la Licence, le Master et le Doctorat.

QNA: Qu’est ce qui pourrait expliquer le retard au niveau des universités publiques burkinabè ?

Le déficit des infrastructures est le premier problème. Si bien qu’on parle de double vacation, de double flux. On parle même souvent de mettre les vacances à profit pour faire des cours magistraux. Le vrai problème c’est le problème d’infrastructures. Le deuxième problème est le problème déficitaire des enseignants. Ce qui fait que la plupart des universités font recours à des enseignants contractuels. L’État n’est pas à mesure d’employer un nombre élevé d’enseignants. Malgré l’effort de l’État qui a lancé treize universités, il y a toujours le déficit des enseignants.

Le troisième problème est la capacité financière des universités. De nos jours, l’État ne finance pas à 100% le fonctionnement des universités. L’Etat fait des allocations et c’est à l’université de travailler avec les frais de scolarité pour combler le vide. Une université peut avoir besoin de deux milliards pour son fonctionnement annuel et l’État lui alloue un budget de un milliard et lui dit de se débrouiller avec les scolarités et les services variés pour combler le déficit. Cela fait que les universités accusent souvent des retards de paiement, et accusent du retard dans le financement de certains projets. Le quatrième problème est le problème de la gratuité. Il ne faut pas qu’on se flatte. La gratuité n’a jamais produit la qualité. On a mis dans la mentalité des jeunes que l’école doit être gratuite. Même au supérieur on dit aux étudiants de payer quinze mille francs. Moi je suis pour que l’éducation soit gratuite, mais, à cause de notre niveau économique, dire qu’on va faire de l’école une gratuité sera une illusion. L’État est pris dans un piège aujourd’hui. Il vaut mieux dire aux étudiants de payer cinquante mille francs l’année et gagner leur licence en trois ans au lieu de payer quinze mille et faire cinq ans sans licence. Mais l’État a peur de crever l’abcès. De dire aux jeunes étudiants, il y a des retards parce qu’il manque d’argent.  Donc on va compter sur vous-même pour financer les études. On va vous demander de payer désormais 50 mille FCFA. Les problèmes financiers auraient été réglés et les retards absorbés. Je connais des universités qui ont deux ans d’arriérés de contrat. Des universités qui ont deux ans, trois ans, d’arriérés de paiement des frais de copies. Quand vous tenez une classe de 250 étudiants, c’est vous, vous devez corriger les copies mais si  la classe fait plus de 250 étudiants, le reste des copies doit être payé par l’État à raison de 500 ou 600 f  la copie. Cela fait que, quand on fait des devoirs, au lieu que les enseignants les corrigent rapidement, ils prennent tout leur temps. En ce moment c’est l’étudiant qui perd. Les gens qui paient cher arrivent à obtenir rapidement leurs diplômes. Voilà pourquoi il y a du retard.

QNA: Que pensez-vous du système L.M.D?

Le système L.M. D. n’a pas été maîtrisé à la base. C’est un système qui devait résoudre les problèmes et qui se retrouve en train d’aggraver les différents problèmes. Sinon je crois que c’est un bon système qui devrait nous aligner sur la même dynamique que de nombreux pays qui l’avaient déjà expérimenté avec tous ses atouts. C’est un système qui permet d’offrir une éducation de qualité. Il faut qu’on soit au diapason avec d’autres pays en termes de savoir. Du même coup,  l’application du système L.M.D. au Burkina Faso a posé problème. Parce que toutes les conditions n’ont pas été réunies avant de le lancer. Si bien que,  ce qui devait être un soulagement pour les étudiants est devenu un problème parce que cela participe au chevauchement des années, à des retards et conduit à l’abandon de nombreux étudiants. Des gens dont la formation devait profiter le Burkina Faso, se retrouvent découragés. Comme je l’ai dit, le L.M.D. nécessite assez de conditions techniques, intellectuelles, une préparation financière, infrastructurelles. Ça n’a pas été le cas, voilà pourquoi le L.M.D. traîne. Mais je crois que le vin est déjà tiré, il faut qu’on travaille à l’améliorer pour que le Burkina Faso offre une éducation à la hauteur de celle d’autres pays dans le monde.

QNA: Depuis plusieurs années maintenant, les étudiants réclament la suppression du système L.M.D., mais le gouvernement s’obstine à le maintenir. Ne serait-il pas judicieux d’opter pour un autre système plus adapté à nos réalités, en lieu et place du L.M.D calqué sur le modèle français ?

Je crois que les deux dynamiques sont possibles. Les français se sont inspirés du système européen et américain. Mais je crois que le vrai problème n’est pas le système L.M.D., c’est le contenu qu’on donne à ce système qui est le problème. Ce n’est pas un système qu’on doit copier de façon crue et l’appliquer. On doit tenir compte des réalités sociales en appliquant ce système. Quand vous regardez l’organisation, le système L.M.D. évite même les redoublements, les pertes de temps. Quand tu sors avec ton diplôme, tu peux les faire valoir ailleurs. Mais nous pouvons le conserver tout en l’adaptant à nos réalités et aux besoins de nos communautés.

QNA: D’aucuns évoquent le nombre des étudiants comme la cause du retard, que pensez- vous de cet argument?

Le nombre des étudiants fait partie des causes mais, il n’est pas la cause fondamentale. Les principales causes sont le problème d’infrastructures et le problème de moyens financiers pour financer les examens, les contrats et la correction des copies, financer la tenue des sessions. Quand la chaîne financière ne suit pas, tout se retrouve paralysé et bloqué.

QNA: Êtes-vous pour une réforme du système éducatif burkinabè ?

Je suis partant pour une réforme profonde du système éducatif. Il faut qu’on associe la cellule familiale. Que les parents soient impliqués dans l’éducation. Il faut qu’on fasse des enquêtes de moralité chez les enseignants. Que ça ne soit pas n’importe qui. Comme l’a dit Joseph Ki-ZERBO :  » L’éducation, c’est l’ordinateur qui programme l’avenir des sociétés”. On ne doit pas jouer avec l’éducation, on doit faire des enquêtes de moralité. Assurer que ceux qui font les concours de l’enseignement sont des gens qui ne viennent pas par recherche d’emploi,  mais qui ont la vocation, qui vont prendre l’éducation comme un sacerdoce. Il faut revoir le niveau des infrastructures. Une éducation nécessite un minimum d’infrastructures, un minimum d’équipements en matériel didactique. Au niveau des programmes, les curricula doivent être revus, même l’essence du contenu des programmes pour que ça ne soit plus un savoir extraverti mais un savoir introverti national. Que l’éducation fasse des écoliers, des élèves, des étudiants de vrais citoyens. En sortant du système éducatif,  que tu sois un patriote. Que tu sois quelqu’un de bien éduqué, qui peut participer au développement du Burkina Faso. Que l’on mette l’accent sur les richesses du Burkina Faso, sur le capital humain, sur l’histoire, sur nos valeurs culturelles, sur notre patrimoine culturel, comme les chinois le font. Nous avons par exemple des documents en littérature, en philosophie que à l’école on n’étudie pas. C’est pour aller étudier Hegel, Aristote et autres. Nous avons aussi des anciens qui avaient des proverbes, des citations. Même récemment, l’école néo- coloniale a produit assez de philosophie. Nous avons des écrivains, nous pouvons étudier leurs œuvres partout.

Quand on prend l’histoire, nous apprenons tout à l’école, sauf l’histoire du Burkina Faso. On enseigne tout au niveau de la géographie, sauf la géographie du Burkina Faso. Donc il faut mettre l’accent sur nos réalités sociales. En un mot, il faut réformer le système éducatif et faire de ce système l’organe ou la machine qui doit préparer les générations futures. On doit définir quel système on veut dans les 30 ans à venir et on confie cette mission à l’école en lui donnant tous les moyens possibles et l’école va fabriquer ces citoyens pour nous.

OUEDRAOGO Mohamed