Une seule loi a été examinée dans la matinée du vendredi 21 juin 2019 à l’Assemblée nationale. Il s’agit de la loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal du Burkina. Les innovations présentées par le ministre en charge de la justice ont réussi à convaincre 103 députés sur 114 votants. Cette loi, qui depuis quelques temps faisait l’objet de controverse, vient ainsi encadrer la diffusion des informations liées au terrorisme. Si la loi est jugée liberticide par des organisations de la société civile et les associations professionnelles de journalistes, le ministre de la justice, lui, estime qu’on accorde beaucoup plus de charges à la loi qu’elle en a.
Le projet de loi qui a suscité beaucoup de réactions aussi bien au sein de la classe politique burkinabè que des organisations de la société civile et les associations professionnelles de journalistes ne sera plus qu’un vieux souvenir. Aujourd’hui c’est chose faite, l’Assemblée nationale du Burkina a adopté le vendredi 21 juin 2019 à l’occasion de la première session extraordinaire de l’année, le projet de loi portant modification de la loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant code pénal. Désormais, toute personne qui va se permettre de diffuser des fausses informations ou des informations de nature à porter atteinte à la défense et à la sécurité, à révéler des informations jugées stratégiques pour la sécurité et la défense nationale ainsi que les publications des images des attaques contre les forces de défense et de sécurité et des victimes de crimes et délits de nature à porter atteinte à leur dignité ou à leur honneur, sera passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et du paiement d’une amende d’un à 10 millions de francs CFA. Pour le gouvernement, porteur de ce projet, c’est une mesure qui vise à encourager les forces de défense et de sécurité dans leur travail mais également à protéger toutes les victimes des attaques terroristes. « Il s’agit d’un projet modificatif du code pénal qui vise à faire en sorte que les opérations et les points stratégiques des forces de défense et de sécurité ne puissent pas être révélés ; que lorsqu’il y’a des attaques, qu’on ne puisse pas tout de suite, présenter les images des dégâts pendant que les éléments sont toujours en opération. Il fallait donc faire cette proposition pour encourager les forces de défense et de sécurité dans leur travail mais également protéger toutes les victimes des attaques terroristes », a indiqué René Bagoro, le ministre de la justice, garde des sceaux. Toutefois, précise-t-il, « il s’agit seulement des informations de nature à compromettre une enquête en cours. Ça veut dire concrètement que si une attaque a lieu, vous avez le droit de donner l’information mais pas de montrer les images ni de donner la position des FDS, parce que cela pourra permettre aux ennemis de savoir comment s’organiser ».
Une loi jugée « liberticide » par les organisations professionnelles des journalistes
Les explications du ministre de la justice n’auront pas réussi à convaincre les organisations professionnelles de la presse et des organisations de la société civile qui jugent la loi trop liberticide. Selon Guezouma Sanogo, le président de l’association des journalistes du Burkina (AJB), cette loi est préjudiciable au travail du journaliste. « Nous estimons qu’il est inadmissible que dans un pays, que le citoyen en occurrence le journaliste dépende d’une source unique. Le principe du traitement de l’information, c’est le recoupement des sources, mais si notre présence auprès même d’un site futile d’attaque terroriste devient un crime, comment voulez-vous qu’on informe le citoyen et comment voulez-vous édifier le citoyen conscient dans ce pays ? », s’interroge-t-il. Pour lui, cette loi est liberticide et elle est dirigée contre les journalistes. Il estime que cela va contribuer à enfreindre à la liberté d’expression tant acquise au Burkina Faso « Les députés ont été élus ici pour surveiller notre liberté et non pas pour la censurer, malheureusement, c’est ce qui vient d’être fait », a-t-il regretté. Même son de cloche que Urbain Kisswensida Yaméogo du centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA), qui avait appelé de tous ses vœux à ce que le projet de loi soit rejeté. « Nous déplorons que cette loi soit passée. De notre analyse, d’abord, c’est un projet de loi qui a été proposée en conseil des ministres sans véritablement associer les acteurs susceptibles d’être impactée. Une loi qui, lorsqu’elle est arrivée en Assemblée nationale lors d’une session extraordinaire, ce qui ne donne pas suffisamment de temps pour la commission saisie au fond de faire le travail nécessaire, notamment d’audition des acteurs. Et puis une loi qui, lorsqu’elle est arrivée en plénière, certes, a fait l’objet de débat mais a été finalement été adoptée », a-t-il déploré.
‘’ Les médias étrangers ne sont pas concernés ‘’
Il est bon de noter que cette loi ne concerne pas les médias étrangers, car selon le ministre Bagoro, aucune loi pénale n’a vocation internationale en dehors des lois pénales internationales. Toutefois, il est prévu dans le projet de loi, que ceux qui relaient ces informations pourront être poursuivies. « Il y’a des médias internationaux qui ont des canaux de diffusion ici, et donc si par leur canal de diffusion, l’information sort, c’est ce canal qui va être poursuivi », prévient-il. « Au-delà de l’aspect pénal, nous avons aussi des accords de coopération avec des pays et cette loi va nous permettre lorsque des burkinabè publient des informations relatives à leur pays qui sont de nature à tomber sous le coup de la loi, qu’on puisse agir », a lancé René Bagoro, comme pour dire, nul n’est épargné par la loi. Qu’à cela ne tienne, le ministre de la justice a signalé que le gouvernement travaille à signer des conventions avec des administrateurs de certains réseaux sociaux, notamment Facebook afin de ne pas diffuser des informations qui sont de nature à compromettre la paix, la quiétude ou laper le moral des troupes.
Deux dispositions importantes sont contenues dans le projet de loi
Le présent projet de loi présente deux dispositions importantes. La notion de temps voisin et l’autorisation de publication. Selon le ministre Bagoro, la notion de temps voisins qui existait bien avant ce code pénal, concerne toute situation qui fait croire que quelqu’un est auteur ou co-auteur d’un crime. « C’est par exemple lorsqu’une qu’infraction qui vient de se commettre, quelques heures après, on prend quelqu’un avec sur lui des objets qui peuvent être des objets de crime, c’est ça qu’on appelle un temps voisin », a-t-il expliqué. Quant à l’autorisation de publication, René Bagoro fait savoir que nombreux sont ceux-là qui critiquent le texte sans en connaitre véritablement le fond. « L’autorisation ne concerne pas toute diffusion d’autorisation. En effet, elle concerne la diffusion des informations d’une scène de crime, c’est-à-dire lorsqu’une infraction est commise et que les officiers de police judiciaire où le procureur est en train de faire vouloir mener les enquêtes, on balise le terrain pour empêcher que certaines informations ne soient pas divulguées au risque de faire perdre des pistes. Il s’agit bien d’une notion précise, scène de de crime, donc il ne faut pas faire d’amalgame », a-t-il noté.
Une loi au ‘’forceps’’ selon l’opposition
Même si cette loi comporte de nouvelles dispositions tendant à protéger les FDS, l’opposition politique, elle, dit être contre le principe qui a consisté à précipiter l’adoption de cette loi. « Ce n’est pas que nous remettons en cause le soutien aux FDS, mais nous avons demandé au gouvernement de prendre le temps d’écouter tout le monde avant de faire passer un projet de loi », a indiqué Adama Sosso, Président du groupe parlementaire UPC. L’opposition parlementaire a d’ailleurs claqué la porte, car se sentant insulté par un député de la majorité. « Nous n’étions pas venus pour quitter la salle, nous avions fait une déclaration et normalement nous allions voter contre, parce que nous avons dit que tant que ceux qui ne sont pas d’accord sur ce projet de loi, on ne peut pas être d’accord. « Nous sommes sortis de la salle parce que nous sommes mécontents du comportement d’un des députés », a-t-il lancé.
Les jours à venir, les trois groupes parlementaires de l’opposition comptent s’entretenir avec la presse pour expliquer en fond le principe de fondement. Les organisations de défense des droits humains et les organisations professionnelles des médias, eux disent prendre acte.
Sié Alfred