DE LA RÉVOLUTION ANTIFASCISTE DES OEILLETS AU PORTUGAL AUX RÉVOLUTIONS SOUVERAINISTES AFRICAINES : SE DÉMARQUER DES NARRATIFS AU SERVICE DE LA GUERRE HYBRIDE DE L’IMPÉRIALISME !

Diagne Fodé Roland

Ce 30 avril 2025 restera longtemps dans les mémoires : les peuples et les diasporas africains se sont mobilisés pour dire “ne touchez pas aux chefs des Etats de l’AES” en Afrique. Les manifestants dénoncent ce général noir US du commandement Afrikom qui menace le chef de l’Etat du Burkina Faso pour avoir exercé la souveraineté nationale sur l’exploitation de l’or.

Par cette mobilisation anti-impérialiste massive, les peuples s’insurgent contre la guerre hybride par djihado-terroristes et séparatistes interposés de l’OTAN contre les Etats d’Afrique qui ont décidé de sortir de l’enclos néocolonial françafricain, eurafricain et usafricain édifié en 1960 par les massacres de masses et les assassinats et les coups d’Etats contre les leaders véritablement indépendantistes. C’est ainsi que fut obtenu le passage du colonialisme au néo-colonialisme.

Traumatisés par la trahison et le meurtre de Thomas Sankara en octobre 1987, les peuples prennent conscience qu’ils sont seuls véritables protecteurs des leaders de leur indépendance et de leur souveraineté nationale.

Les peuples ne se laissent pas tromper par la guerre des mots

L’impact abrutissant sur une certaine intelligentsia africaine de la propagande impérialiste qualifiant de “juntes putschistes” les pouvoirs des pays de l’AES est battu en brèche par le puissant message des populations déferlant par millions dans les artères des villes du Burkina Faso, du Niger, du Mali et les rues de Nairobi, Johannesburg, Maputo, Windhoek, du Gabon, Tanzanie, Togo, New York, Paris, Londres, Moscou, Pékin, Rio de Janeiro, Jamaïque, etc.

En effet, une certaine intelligentsia, y compris de gauche, s’est laissée berner par un “anti-putschisme” atavique hors de tout contexte et de tout but qui ne fait aucune différence entre l’intervention des militaires dans l’arène politique dictée par les impérialistes et celle d’une fraction du peuple en tenue militaire qui fait aboutir les mobilisations des peuples contre des régimes fascistes et/ou néocoloniaux. Sankara avait mille fois raison de dire qu’un “militaire sans conscience politique est une criminel en puissance”.

Que n’a-t-on entendu répéter comme des perroquets les caractérisations négativement connotées de “juntes putschistes” cherchant à disqualifier les expériences souverainistes en cours dans les pays de l’AES et même cherchant à les opposer à celle en cours au Sénégal où le changement est arrivé par les urnes.

En fait, il faut aussi décoloniser l’esprit de ces intellectuels africains, y compris de gauche, qui singent ainsi, consciemment ou pas, cette agit-prop malveillante qui fait d’eux les idiots utiles de l’endoctrinement idéologico-médiatico-culturaliste impérialiste.

En effet, comme on l’a vu au Chili avec le fasciste Pinochet contre Allende, au Togo contre Olympio, au Ghana contre Nkrumah, au Mali contre Modibo, au Burkina contre Sankara, etc., les impérialistes, non seulement, soutiennent les “putschs et juntes” au service de leurs intérêts de classe sociale prédatrice, mais interfèrent même pour les dévoyer contre la volonté populaire.

le précédent de la révolution antifasciste des oeillets au Portugal

Le 25 avril 1974, le Mouvement des Forces armées (MFA), regroupant de jeunes officiers de l’armée portugaise, renverse la dictature salazariste et met un terme à près d’un demi-siècle de fascisme dans la péninsule lusitanienne, mais également aux sanglantes guerres coloniales menées par le régime salazariste dans les futures ex-possessions africaines (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, etc.). Ce MFA, au sein duquel certains officiers baignent dans la culture anticapitaliste (comme Otelo de Carvalho) voire marxiste-léniniste à l’image de Vasco Gonçalves, Premier ministre de juillet 1974 à septembre 1975 et proche du Parti communiste Portugais (PCP) d’Alvaro Cunhal, coopère avec les partis engagés dans la Résistance depuis 1926 (année du coup d’État militaire ayant renversé la démocratie portugaise), à commencer par le PCP contraint à la clandestinité et qui a su s’organiser de manière disciplinée et rigoureuse afin de faire face à la violente répression ayant causé des milliers de disparitions et de morts. Une répression qui profita de la grande indifférence des « démocraties libérales » atlantistes et de la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’UE totalement décomplexée pour réaliser d’importants échanges commerciaux avec la dictature salazariste…” (site Contretemps).

L’hypocrite duplicité des impérialistes étasuniens et européens est d’avoir d’abord concilié et soutenu les dictatures fascistes de Franco en Espagne et de Salazar puis Caetano au Portugal pour ensuite faire adorer la révolution antifasciste des oeillets une fois le parti social-démocrate de Soares installé à la tête de l’appareil d’Etat bourgeois. Durant la période révolutionnaire 1974-1975, “La révolution portugaise a historiquement combiné une crise nationale (financière, politique et militaire) et l’entrée sur la scène politique des masses estudiantines et travailleuses. Les masses – nous utilisons le concept de « masses » en tant que groupes non encore organisés autour d’un programme politique, d’où ce concept de masse informe, disruptive –, se sont organisées par la suite en structures de base, commissions, associations, partis ou syndicats. Peu à peu se sont constitués des groupes de travailleurs et d’habitants, d’étudiants et par la suite de soldats, qui furent le centre névralgique de la révolution. Ils déterminèrent le cours de la crise de l’Etat et de l’accumulation, qui a débouché non seulement sur toute une gamme de droits politiques, mais a entraîné une érosion inédite du capital, conduisant à ce qui reste historiquement le plus grand gain des revenus du travail sur ceux du capital. Ils sont passés de 50% du PIB pour le travail (salaire et cotisations sociales) et 50% pour le capital (intérêts, profits, rentes) à 70% pour le travail en 1975 et 30% pour le capital. Ce transfert prit, sous la pression des luttes sociales, des formes diverses: décapitalisations (paiements des salaires et investissements), hausses directes des salaires, augmentation du salaire social” (idem).

Voyant le danger pour ses intérêts bourgeois, les impérialistes oeuvrent en sous main en s’appuyant sur le PS de Soares pour enclencher une contre-révolution de velours qui a mis fin à la dualité du pouvoir que l’intervention des militaires sous-officiers alliés avec le Parti Communiste dans l’arène socio-politique avait engendré. C’est ce que montre clairement ce récit de Samel Hutington sur l’entretien de l’impérialisme US avec le PS portugais : : « La crise portugaise semblait, de bien des manières, rejouer la révolution russe de 1917, le coup d’état d’avril tenant lieu de révolution de février, Caetano reprenant le rôle de Nicolas II et les groupes dominants au sein du MFA celui des bolcheviks. La dégradation de la situation économique et l’agitation populaire constituent deux autres traits communs. Enfin, on peut établir un parallèle entre la tentative de coup d’état venue de la droite et perpétrée, en 1975, par le général de Spinola, et la conspiration de Kornilov. Toutes ces similitudes n’échappèrent pas aux observateurs avisés. En septembre 1974, Mario Soares, ministre des affaires étrangères du gouvernement provisoire et leader du parti socialiste portugais, eut une entrevue avec le secrétaire d’état américain Henry Kissinger à Washington. Reprochant à Soares et aux autres modérés de ne pas agir avec assez de vigueur pour écarter la menace d’une dictature marxiste-léniniste, Kissinger dit à ce dernier : ‘vous êtes un Kerenski… je crois en votre sincérité, mais vous êtes un naïf. Je n’ai aucune envie d’être un Kerenski, répliqua Soares. Kerenski n’en avait pas envie non plus’, rétorqua Kissinger. Le Portugal, cependant, n’allait pas évoluer comme la Russie. Les Kerenskis l’emportèrent; La démocratie triompha. Soares allait devenir premier ministre et plus tard président. Et le Lénine de la révolution portugaise, celui qui sut, au moment décisif, faire montre de force et de maîtrise afin d’obtenir le résultat politique désiré, fut un colonel taciturne, favorable à la démocratie, nommé Antonio Ramalho Eanes. Le 25 novembre 1975, il écrasa les gauchistes des forces armées et assura l’avenir de la démocratie » (Troisième vague, les démocraties de la fin du XXéme siècle, édition Nouveaux Horizons, p.2 et 3).

L’on voit ici que c’est donc sous un pavillon volé que voyagent la propagande impérialiste et certains de nos intellectuels avec leurs stupides singeries “anti-putschistes” pour exclure de facto de tout processus révolutionnaire la fraction du peuple en arme que sont les soldats. Les impérialistes qui ont toujours qualifié les processus révolutionnaires de “putschs” et les régimes qui en sont issus de “juntes”, ne s’embarrassent d’aucun scrupule pour vanter et soutenir dans leurs intérêts de classe les “putschs” et “juntes” qui ont renversé S. Olympio, Modibo Keita, Kwamé Nkrumah, Lumumba, Mamadou Dia, etc. Aux peuples souverainistes, surtout aux révolutionnaires communistes de montrer les dessous cachés des mots qui servent l’impérialisme décadent Otano/US/UE/G7/Israélien dans sa guerre hybride pour sauver son hégémonie de la chute finale.

les expériences souverainistes africaines

Le multipartisme et les élections sont les mots érigés en seuls critères pour disqualifier les transitions politico-militaires de l’AES tout comme d’ailleurs, plus honteusement, cela a été fait par certains des bruyants souteneurs puis critiques silencieux après coups de l’expérience politico-militaire de Sankara.

Ces messieurs et dames ne voient pas que la lecture culturaliste essentialiste de leurs idéologues impérialistes des “coup d’Etats” obéit au double standard selon leurs intérêts de classe. Malgré le fait qu’en “1974-1975, le « socialisme » était très populaire au Portugal. Les partis de gauche (PS, PC et divers groupements sur leur gauche) ont obtenu près de 60 % des voix lors des élections de 1975 à l’Assemblée Constituante, ce qui est probablement le pourcentage le plus élevé jamais atteint lors d’une élection en Europe de l’Ouest”, les impérialistes n’ont pas traités de “juntes” le parachèvement des luttes populaires antifascistes au Portugal par les militaires du MFA comme le font de l’AES nos valets grands bourgeois de néocoloniaux la CEDEAO/UEMOA et les renégats de la gauche.

En effet au Portugal l’offre politique communiste avait été écrasée par la contre révolution fasciste alors que dans les pays de l’AES la corruption endémique a discrédité le multipartisme et les trucages des élections se sont révélés être la nouvelle forme de la dictature libérale imposée par les plans d’ajustement structurel du FMI/BM qui ont produit la misère généralisée du peuple contraignant la jeunesse à l’émigration piroguière ou pedestre meurtrière et la vie d’esclaves sans papiers dans les pays impérialistes.

Les impérialistes se sont plutôt évertués à vanter tout en minant de l’intérieur la révolution antifasciste portugaise pour faire en sorte que “Sur le terrain électoral… Le PS était dans son élément. Leur attrait, à la fois pour la classe moyenne et pour les sections non militantes de la classe ouvrière, était considérable. Lors des élections d’avril 1975, ils obtinrent 37,87% des voix, soit une nette avance de 10% sur tous les autres partis. En avril de l’année suivante, malgré les défaites et les trahisons des douze mois précédents, ils conservèrent 34,97% des voix” (idem, contretemps).

Dans les pays de l’AES, la corruption généralisée de la classe politique et la lutte des places pour les fauteuils présidentiels et ministériels, y compris par l’intégration massive de nombreux leaders de la gauche historique, ont engendré une démocrature multipartite et une succession d’élections truquées où les présidents changent en maintenant une continuité servile aux politiques libérales dictées par le FMI et la BM. Le résultat de ces décennies de “démocratie multipartite”, c’est par exemple au Mali 400 partis politiques dont les chefs, pour la majorité d’entre eux, passent leur temps à lorgner et monnayer des sinécures pour s’enrichir, y compris les ex-gauches, et intégrer la bourgeoisie bureaucratique d’Etat compradore.

Ce processus qui fait que le chemin le plus court pour devenir milliardaire est de participer à la gestion de l’appareil d’Etat néo-colonial sous la dictée des institutions de Bretton Wood chargé par l’impérialisme d’imposer le libéralisme au monde entier est observable dans d’autres pays africains.

C’est une réalité générale palpable, y compris dans notre pays le Sénégal, lequel ne se différencie des pays de l’AES que par le fait que la rébellion de la jeunesse souverainiste a produit une offre politique civile sous la forme du parti PASTEF qui est venu combler le vide causé par la trahison des leaders et partis de la gauche historique inféodés aux libéraux et sociaux libéraux dans les gouvernements néocoloniaux successifs.

Alors que dans l’AES, l’absence d’une telle offre politique a été comblée par les fractions souverainistes des armées nationales confrontées à la fois au terrorisme religeux fascistes, au séparatisme ethniciste et au double jeu des impérialistes françafricain, eurafricain, usafricain occupant militairement nos pays.

Il faut donc sortir de la mélasse nauséabonde des formules attrappe-nigaud de l’agit-propagande idéologico-politique des impérialistes contre les expériences souverainistes en cours de cette seconde phase de libération anti-néocoloniale en Afrique.

Renouveller la classe politique sur la base de la souveraineté nationale

Cette seconde phase de libération anti-néocoloniale africaine a pour force principale la prise de conscience et la mobilisation d’une jeunesse qui, après en avoir beaucoup attendu, touche du doigt dans sa chair la fin des illusions semées par le “vent de la démocratie multipartite” qui s’est révélé être l’accompagnement illusionniste de la mise sous tutelle économique de nos pays par le FMI et la BM dans le cadre de la “re-mondialisation” du capitalisme sous hégémonie US/UE/G7/Israël.

Le multipartisme comme moyen de participer à la dilapidation des finances publiques a tué les partis et montré que changer les hommes au pouvoir ne suffit pas à changer la vie concrète du peuple. La liberté de créer des partis a été dévoyée pour servir à l’inféodation à la domination des impérialismes par les Etats néocoloniaux et au pillage des richesses nationales. Les partis qui, normalement représentent les classes sociales dans un pays, sont devenus des entreprises privées personnalisées au service de la stratégie d’intégration à la bourgeoisie bureaucratique d’Etat pour s’enrichir.

La rébellion de la jeunesse souverainiste est l’antidote développé par des sociétés africaines fatiguées du clientélisme politicien vénal contre le cancer généralisé de la corruption et la soumission à l’impérialisme.

Dans l’AES et au Sénégal, la classe politique néocoloniale existante de droite, social-démocrate, de gauche, toute libérale et mondialiste qui a fait son temps est en train de céder la place à une nouvelle classe politique souverainiste dans laquelle les clivages de classes sont pour le moment relativement atténués par les menaces que font peser sur nos expériences souverainistes la guerre hybride des impérialistes Otano françafricain, eurafricain et usafricain. 

Le camp souverainiste de l’AES au Sénégal est inter-classiste, c’est-à-dire associe en son sein les représentants politiques de plusieurs classes sociales ou fractions de classes sociales qui ont intérêt à la sortie du néocolonialisme avec à leur tête la petite bourgeoisie civile au Sénégal et militaire dans l’AES.

La décision au Mali de réduire de 400 à 5 au maximum le nombre des partis politiques va dans la bonne direction à condition d’en revenir à la nécessité que les partis représentent les classes sociales du pays et ne soient pas apatrides. L’interdiction de la vassalisation néocoloniale doit être un critère fondamental, voire constitutionnel pour la légalisation de tout parti politique dans nos semi-colonies africaines.

La reddition des comptes par les voleurs des deniers publics dans les pays souverainistes est non seulement indispensable pour récupérer l’argent volé, mais engage les nouveaux dirigeants à punir la corruption, le népotisme et la gabegie.

Les phases de redressement et de transition vers la souveraineté nationale doivent s’inscrire dans l’objectif de préparer les nationalisations des secteurs clés dont l’État a besoin pour piloter l’économie nationale et aiguiller en l’encadrant le secteur privé national vers sa souveraineté vis-à-vis du capital étranger impérialiste. C’est ainsi que le secteur privé englué jusqu’ici dans l’affairisme néocolonial mondialiste de “’l’import-import” peut devenir productif et créateur de vrais emplois décents. 

Sortir de la monnaie coloniale CFA pour une banque centrale africaine adossée à des banques nationales est à terme nécessaire pour mobiliser prioritairement les ressources internes pour financer l’économie nationale.

Telles sont les tâches à planifier et à réaliser par étapes dans l’AES, en plus de la sécurité anti-terroriste nationale panafricaine et au Sénégal en attendant que d’autres pays africains prennent le chemin de la souveraineté nationale.

Pour garantir le succès de cette marche vers la souveraineté nationale panafricaine, nous devons avoir chevillé au corps et à l’esprit l’enseignement suivant de Amilcar Cabral : “ Ne pas avoir peur du peuple et l’amener à participer à toutes les décisions qui le concernent, telle est la condition fondamentale de la démocratie révolutionnaire que nous devons réaliser progressivement”. 

04/05/25