Rapport Amnesty International 2020 sur l’Afrique Subsaharienne

« Des politiques destructrices qui ont perpétué inégalités, discrimination et oppression »

Dans son rapport annuel 2020/2021 rendu public le 7 avril, Amnesty International a relevé que la pandémie de COVID-19 a révélé toute l’ampleur du terrible bilan des politiques délibérément clivantes et destructrices qui perpétuent les inégalités, la discrimination et l’oppression dans toute l’Afrique subsaharienne. La présentation de ce rapport au Burkina Faso a fait l’objet d’un point de presse animé par Yves Boubbacary Traoré, Directeur Amnesty International Burkina, et ses collègues.

Yves Boubacari Traoré (milieu) et ses collègues ont présenté le rapport 2020 à la presse

Le rapport indique que les groupes armés ont conservé des bastions en Afrique de l’Ouest et au Sahel notamment, attaquant des civils au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Nigeria, brisant de nombreuses vies, aussi bien au Cameroun qu’en République centrafricaine ou encore au Tchad. Dans leur riposte à ces attaques terroristes, d’après le rapport, les forces de sécurité dans ces pays d’Afrique, ont commis elles aussi de graves violations des droits humains à l’encontre de la population civile.

Le rapport cite Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International, selon qui « les conflits entre les États et les groupes armés ainsi que les attaques contre les populations civiles se sont poursuivis ou intensifiés dans la majeure partie de l’Afrique subsaharienne. En Afrique australe, les violentes tensions qui couvaient de longue date dans la province de Cabo Delgado (Mozambique) se sont envenimées et muées en un véritable conflit armé, tandis que dans la Corne de l’Afrique un conflit a éclaté en Éthiopie, dans la région du Tigré ». L’avènement de la pandémie du COVID-19 a exacerbé les inégalités.
La pandémie a exacerbé les inégalités

Le Rapport 2020/21 montre que les populations qui étaient déjà les plus marginalisées, notamment les femmes et les personnes réfugiées, sont celles qui ont été le plus durement frappées par la pandémie, en raison des politiques discriminatoires décidées par les dirigeants de la région. « La pandémie de COVID-19 a brutalement exposé et renforcé les inégalités dans toute l’Afrique subsaharienne. Les États doivent réinvestir d’urgence dans la population et “réparer” le système socio-économique, qui ne fonctionne plus, qui perpétue la pauvreté et les inégalités et qui laisse trop de personnes de côté », a affirmé Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. Le rapport d’Amnesty International montre qu’en raison des inégalités déjà existantes, les populations marginalisées, les personnes réfugiées, les personnes âgées, les femmes et le personnel de santé ont été touchés de manière disproportionnée par la pandémie, et que la violence liée au genre a exacerbé cette situation.
L’avènement du COVID-19 a davantage aggravé les conditions de vie déjà très précaires des personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes dans de nombreux pays, certaines d’entre elles se retrouvant piégées dans des camps sordides et privées de fournitures essentielles ou bloquées en raison du renforcement des contrôles aux frontières. Par exemple, l’Ouganda, qui est le pays africain accueillant le plus grand nombre de réfugié·e·s, avec 1,4 million de réfugié·e·s recensés sur son territoire, a immédiatement fermé ses frontières au début de la pandémie, ne faisant pas d’exception pour les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile qui voulaient entrer dans le pays. Conséquences : plus de 10 000 personnes ont été bloquées à la frontière entre la République démocratique du Congo et l’Ouganda. Le rapport attire l’attention sur la nette augmentation du nombre de cas de violence domestique et liée au genre et sur le fait que, pour de nombreuses femmes, les obstacles à l’accès à une protection et à une aide se sont accrus à cause des restrictions du droit de circuler librement.

YVES Boubacary Traoré et ses collègues ont fait cas des informations diffusées en juin 2020 en Afrique du Sud indiquant que le nombre cumulé de femmes tuées par leurs partenaires intimes et d’enfants tués pas les partenaires de leurs mères s’élevait à 21 ; à plus de 3 600 viols enregistrés au Nigeria pendant le confinement décrété pour faire face à la pandémie de COVID-19. En République centrafricaine, 60 cas de violences sexuelles liées au conflit ont été recensés par l’ONU, à savoir des viols, des mariages forcés et des situations d’esclavage sexuel, entre juin et octobre.
Sur tout le continent, de nombreuses personnes qui travaillaient dans le secteur informel se sont retrouvées sans revenu et sans protection sociale en raison des mesures de confinement et des couvre-feux. Les professionnels de la santé travaillaient dans des conditions insalubres et dangereuses en raison de la pénurie d’équipements de protection individuelle et de produits désinfectants, ont relevé les présentateurs du rapport annuel d’Amnesty international.
En Afrique du Sud, par exemple, on comptait, en début août au moins 240 soignant·e·s morts des suites de la maladie du COVID-19. En juillet, au Ghana, environ 2 065 soignant·e·s avaient contracté le coronavirus et six avaient succombé à des complications. En dépit de la charge de travail accrue et des risques professionnels supplémentaires, le personnel soignant n’était pas suffisamment indemnisé dans la plupart des pays.

La pandémie, un prétexte pour intensifier la répression des droits humains

Le Rapport 2020/21 dresse en outre un tableau bien sombre des pays dans lesquels les autorités ont continué à restreindre les libertés pour freiner la pandémie. Du Togo à l’Afrique du Sud, en passant par le Kenya et l’Angola, le rapport annuel montre que les États ont utilisé une force excessive pour faire respecter les mesures prises face au COVID-19. « Dans de nombreux pays, les autorités ont bafoué le droit à la liberté d’expression et le droit de réunion pacifique pour étouffer les critiques, arrêtant arbitrairement et tuant de nombreuses personnes qui manifestaient », a indiqué le rapport. Le recours par les autorités à des lois réprimant pénalement les commentaires relatifs à la pandémie du COVID 19 est devenu une constance prédominante. Les États ont utilisé le coronavirus comme prétexte pour continuer de réprimer le droit à la liberté d’expression, notamment en poursuivant en justice pour diffusion de « fausses nouvelles » des personnes ayant publié sur les réseaux sociaux des commentaires sur les mesures prises par les autorités gouvernementales face à la pandémie. Le rapport relève que le recours excessif à la force par les pouvoirs a entraîné plusieurs cas d’homicides multiples, notamment lors d’opérations visant à faire appliquer les mesures de lutte contre le COVID-19. Au Nigeria, les forces de sécurité ont tué des personnes parce qu’elles manifestaient dans la rue, réclamant le respect de leurs droits et de l’obligation de rendre des comptes. Au Zimbabwe, au moins 10 personnes ont été tuées et des milliers d’autres, notamment des manifestants, ont été arrêtées et détenues arbitrairement dans le contexte de l’application des mesures prises pour faire face à̀ la pandémie de COVID-19. En Guinée, sept personnes ont été tuées pendant des manifestations contre les méthodes utilisées par les forces de sécurité pour faire appliquer les restrictions de circulation liées au coronavirus. La répression des manifestations en Guinée a fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et donné lieu à plus de 70 détentions arbitraires.

Au Niger, des défenseurs des droits humains qui avaient lancé un appel à manifester contre la corruption ont été arrêtés de façon arbitraire. En Côte d’Ivoire, des dizaines de personnes ont été arrêtées arbitrairement en août pour avoir participé à des manifestations contre le fait que le président Alassane Ouattara brigue un troisième mandat. Au Cameroun, où le Mouvement pour la renaissance du Cameroun avait réclamé la démission du président, les manifestations ont été interdites dans l’ensemble du pays et des centaines de manifestants ont fait l’objet d’arrestations arbitraires. « Les institutions régionales n’ont pas su faire en sorte que les États respectent leurs principes fondateurs relatifs à la protection des droits humains. Des pays comme le Bénin et la Côte d’Ivoire ont contribué à la fragilité des institutions régionales comme la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en empêchant les particuliers et les ONG de saisir directement la Cour », a déclaré Deprose Muchena.
Selon le rapport présenté par Yves Traoré et ses collègues, la pandémie a cruellement mis en évidence l’incapacité des pays à coopérer efficacement en période de grandes difficultés à l’échelle mondiale. Les États doivent veiller à ce que les vaccins soient rapidement disponibles pour tous et toutes, partout, et gratuitement là où les soins sont prodigués. Les entreprises pharmaceutiques doivent partager leurs connaissances et leurs technologies afin que personne ne soit laissé de côté. Les membres du G20 et les institutions financières internationales doivent alléger la dette des 77 pays les plus pauvres afin qu’ils puissent prendre les mesures nécessaires et se relever après la pandémie. » Les politiques rétrogrades ont incité de nombreuses personnes à rallier des combats menés de longue date, comme avec le mouvement #ZimbabweanLivesMatter, les manifestations contre les violations constantes des droits humains et le mouvement #EndSARS au Nigeria, ou encore le mouvement #ShutItAllDown, visant à attirer l’attention des médias sur les violences liées au genre en Namibie.

Des victoires importantes malgré tout

Tout n’est pas sombre dans le Rapport 2020/21 de Amnesty International. Il fait état de nombreuses victoires importantes remportées en 2020, auxquelles ont contribué les militants des droits humains. Une nouvelle loi a par exemple été adoptée au Soudan pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles. Après un travail de campagne mené pendant des années par Amnesty International et d’autres organisations, la Sierra Leone a quant à elle annulé une interdiction faite aux jeunes filles enceintes de poursuivre leur scolarité et de passer des examens. « En 2020, le leadership n’est pas venu du pouvoir ni des privilèges. Il est venu des innombrables personnes qui ont manifesté pour réclamer un changement. Nous avons assisté à un déferlement de soutien en faveur de #EndSARS et #ZimbabweanLivesMatter, ainsi qu’à des mouvements publics de protestation contre la répression et les inégalités d’un bout à l’autre du continent. C’est sous l’impulsion, dans le monde entier, de gens ordinaires et des défenseurs des droits humains, intervenant souvent au péril de leur propre sécurité, que nous avons continué d’avancer. Ces personnes se trouvent à l’avant-garde du combat pour un monde meilleur, plus sûr et plus égalitaire », a déclaré Samira Daoud. Le rapport cite Deprose Muchena selon qui, « Nous nous trouvons à la croisée des chemins. Il nous faut éliminer les entraves qui détruisent la dignité humaine. Il nous faut repartir sur de nouvelles bases afin de construire un monde fondé sur l’égalité, les droits humains et l’humanité. Nous devons tirer les leçons de la pandémie et nous rassembler pour œuvrer ensemble de façon créative et courageuse afin que toutes les personnes soient sur un pied d’égalité ». Le rapport a recommandé aux autorités des différents pays de faire cesser la violation des droits et libertés démocratiques et d’enquêter sur les atteintes aux droits humains.

Lonsani SANOGO

Le cas spécifique du Burkina Faso

En raison de la crise sécuritaire, 7 régions sur 13 au Burkina étaient placées sous état d’urgence, conférant des pouvoirs étendus aux autorités en matière d’arrestation, de détention et de restriction des libertés de circulation. Cela, parce que des groupes armés se sont livrés à des exactions de droits humains, homicides et enlèvements dans le cadre du conflit armé. Les Forces de sécurité, en riposte ont commis des exécutions extrajudiciaires, de tortures, le tout dans une ambiance de restriction des libertés d’expression, de réduction des droits à l’éducation et d’impunité généralisée, d’après le rapport 2020 d’Amnesty International. Depuis le début de l’année, le GSIM a maintenu le blocus de la ville de Djibo, dans le Soum, restreignant la liberté de circulation sur 37 km, sans oublier les tueries au Sahel, au Nord et au Centre-nord. Le rapport a relevé des tortures et mauvais traitements dans la région d l’Est où des gendarmes ont torturé à mort une dizaine de détenus. Une enquête avait été annoncée, mais sans suite jusque-là. Au titres des exécutions extra-judiciaires, le rapport note 31 personnes exécutées en avril par les forces anti-terroristes à Djibo, une dizaine de personne de détenus ont trouvé la mort dans les géoles à la gendarmerie de Tanwalbougou, 12 autres retrouvés morts suite à des tortures, ce que les gendarmes ont nié. La justice n’a pas été rendue pour la cinquantaine d’homicides illégaux et la soixantaine de disparitions forcées dans le centre nord, à Yirgou. Dans l’ensemble, entre exactions, violences physiques, atteintes aux droits des déplacés internes, restrictions des libertés démocratiques, Amnesty International Burkina a formulé des recommandations à l’endroit ds autorités : diligenter des enquêtes sur les atteintes aux droits humains. Le président du MBDHP, M. Zougmoré, a salué la qualité du rapport et suggéré au titre des recommandations que l’ETAT améliore les conditions de travail des FDS, la fin des abus en matières d’atteinte aux droits humains, l’amélioration de la situation des déplacés internes et l’offre de sécurité en général pour les Burkinabè